Ivan Pinkava/ SILENCE, SILENCE ET RÊVE
« Notre monde est ainsi fait que, tout autour de moi, je ne puisse trouver que raisons de désespoir, ne voir en la mort que retour au néant et que mot lamentable – clé d’une existence incompréhensible dans laquelle je fus jeté de manière incompréhensible. » (Gabriel Marcel, Présence et immortalité)
Si l’on dit que le photographe Ivan Pinkava (1961) s’exprime à l’aide du répertoire figuratif classique de la photographie en noir et blanc – personnages et natures mortes – il s’agit là d’une caractéristique imprécise. En effet, personnages et natures mortes s’y interpénètrent jusqu’à une unité particulière que l’on ne saurait interpréter qu’en considérant l’unité, dans le regard de l’artiste, entre vision du monde et vision du rôle au monde de l’individu. La figure humaine apparaît sur ses photographies comme un organisme vivant, au même titre que les artefacts matériels qui emplissent l’espace. Elle donne à l’espace son sens et son échelle. De quel sens et de quelle échelle s’agit-il ? C’est sans doute équivoque. Ce qui semble clair cependant, c’est l’accent mis sur le rôle du temps dans ce processus répété.
Maintes fois qualifiées de symbolistes ou décadentes, les photographies de Pinkava ne s’occupent pas de la surface des phénomènes constituant la réalité. Ce qui est important ici, ce sont les relations entre les différents éléments choisis, entre ces éléments et le cadre dans telle ou telle photographie, et entre les variations perceptibles d’une photographie à l’autre. Les infimes variantes des motifs représentés relèvent d’une répétition, c’est-à-dire d’une étude approfondie du territoire abordé.
Si l’on considère l’œuvre de Pinkava de façon linéaire, comme un chemin, on s’aperçoit d’un fait intéressant. La figure humaine – dominante, égocentrique, exposée au regard de façon maximale dans ses œuvres plus anciennes – se transforme. Elle devient épisodique ou disparaît entièrement. Elle se dérobe. N’en restent que diverses empreintes dans l’espace. Des traces de mémoire. Si l’on choisit une lecture non-linéaire, probablement plus pertinente ici, nous constatons que l’épicentre de la pensée de l’auteur reste immobile, et que son imagination, et l’iconographie à laquelle celle-ci a recours, ne fait que tourner en cercles concentriques autour de lui. Il s’agit d’une sorte de point fixe abstrait où l’auteur orbite et sonde la fugacité de toute existence humaine. Les questions posées ici concernent la nature mortelle de l’homme, toujours à nouveau confirmée, ainsi qu’un espoir de son dépassement, une foi en l’immortalité. De par son expression, la photographie se rapproche ici beaucoup de formes théâtrales.
L’acte de la mort y est un point de fracture, un no man’s land, un passage frontalier. C’est une expérience que l’on ne saurait contourner dans le cours de la vie humaine, dont on ne saurait s’affranchir, et que l’on ne saurait révoquer de notre conscience. Il s’agit de la fin d’un segment temporel linéaire, au-delà duquel s’étalent les ténèbres et la non-conscience. Tout au long de notre vie, de l’enfance à la vieillesse en passant par l’âge productif, ces moments de confrontation avec la mort font leur apparition à des intervalles et avec des intensités diverses. La naissance elle-même, en tant que commencement, point zéro, renvoie à une sorte de finalité. Il semblerait ainsi que le leitmotiv de l’œuvre de Pinkava se situe dans cet axe qu’est la prise de conscience chez l’homme de son caractère éphémère et par sa recherche d’une défense contre la panique, le désarroi et le désespoir qui peuvent découler de ce sentiment. A ce sujet, Gabriel Marcel parle de l’« axe de l’activité spirituelle » qui articule, dans la pensée, liberté et miséricorde. C’est de là que vient ce motif ambivalent du jeune homme, chez Pinkava, porteur de vitalité mais aussi échantillon unique de l’éphémère perfection de la vie, destinée à succomber à l’obligatoire destruction qu’entraîne le processus du temps.
Petr Vaňous (Extrait du texte d’accompagnement d’une exposition de la galerie 5. patro à Prague, 2009)